Question à Madame Céline Fremault, Ministre de l'environnement
André du Bus. - Madame la Ministre, le lundi 7 décembre, au journal télévisé de 13h de la RTBF, vous étiez interrogée, dans le cadre des négociations de la Conférence des parties (COP 21) relatives au changement climatique, au sujet de ses conséquences pour notre région. Vous avez évoqué une étude commandée auprès de l'Université de Gembloux et qui concerne l'impact du changement climatique sur le hêtre de la forêt de Soignes.
Pourriez-vous donner plus de détails sur la portée de cette étude ? En quoi diffère-t-elle de celle réalisée en 2009 ? Quelles sont les conclusions que vous en tirez ?
Selon les informations communiquées par la presse, le plan de gestion en préparation nous semble revêtir essentiellement un caractère défensif.
Je constate que toutes les réflexions discutent de l'adaptation de la gestion à l'aléa climatique nouveau dans le but unique de préserver le massif sonien, notamment par le choix d'essences résistantes.
Puis-je attirer votre attention sur le fait que plusieurs études ces dernières années montrent l'intérêt que peuvent aussi avoir les forêts urbaines dans la séquestration du dioxyde de carbone ?
J'en viens dès lors à penser que le plan de gestion pourrait intégrer des dispositions qui, sur un mode actif, en ferait également un outil à part entière permettant de contribuer, à sa mesure bien entendu, à la lutte contre le réchauffement qui préoccupe l'humanité.
Le choix des essences pourrait en effet être basé non plus seulement sur leur résistance au contexte attendu, mais aussi sur leur performance de séquestration.
Avez-vous une idée de la capacité de stockage actuelle de la forêt de Soignes, et de la valeur de ce service écosystémique ? Existent-t-il des calculs prospectifs établissant l'évolution que nous pourrions donner à cette capacité ?
Pour revenir à l'étude, comment ses résultats seront-ils pris en compte dans ce nouveau plan de gestion de la forêt de Soignes qui devrait voir le jour en 2017 ?
Je vous remercie pour vos réponses.
Madame Céline Fremault, Minsitre. - L'étude de 2009 sur l'adéquation des essences aux stations forestières de la forêt de Soignes dans le contexte du changement climatique repose sur une démarche empirique. Elle visait à étudier l'impact des changements climatiques sur les essences les plus présentes en forêt de Soignes : le hêtre et les chênes pédonculé et sessile. 23 essences supplémentaires ont également été étudiées afin de pouvoir proposer, le cas échéant, des alternatives aux hêtres et aux chênes.
La méthodologie de l'étude était basée sur :
- une évaluation de l'aptitude des essences aux conditions actuelles de la forêt;
- une évaluation de l'évolution probable du climat basée sur les hypothèses du scénario A1B du GIEC;
- une évaluation de l'aptitude des essences aux conditions que connaîtraient la forêt de Soignes à l'horizon 2100.
Les conclusions de cette étude sont les suivantes. Pour le hêtre, qui occupe près des trois quarts de la surface de la forêt de Soignes, l'évolution serait très négative suite à l'élévation de la température estivale et à l'augmentation probable des épisodes secs et chauds. Ces changements seraient dès lors particulièrement négatifs pour la Hêtraie cathédrale.
L'étude de 2015 analyse l'influence du changement climatique sur la croissance du hêtre en Forêt de Soignes. Cette étude vise à évaluer l'effet sur le hêtre des changements climatiques observés jusqu'à aujourd'hui par le biais de l'approche dendroécologique. Cette approche combine la dendrochronologie (mesure et datation des largeurs des cernes actuels) et l'écologie forestière. Les séries dendrochronologiques de 286 hêtres issues de recherches réalisée par la KU Leuven, l'ULB et l'ULg - Gembloux Agro-Bio Tech ont été analysées.
Selon cette étude, depuis quelques décennies déjà, les conditions climatiques deviennent de moins en moins favorables au hêtre. Pour les hêtraies ardennaises et les hêtraies de plaine (Soignes exclus), on constate une phase d'augmentation de la croissance à partir des années 20, suivie d'une phase de diminution à partir des années 60-70. L'année 1976 constitue une année charnière du réchauffement climatique. La hêtraie sonienne montre un comportement différent. L'augmentation de croissance à partir des années 20 est nettement moins marquée, mais la diminution est plus tardive (à partir des années 90).
L'augmentation de la fréquence et de l'intensité des sécheresses printanières et des canicules affecte négativement la croissance annuelle des arbres. Ces stress répétés finissent à moyen terme par réduire la croissance globale des arbres. Jusqu'à présent, aucun seuil critique qui mettrait les arbres en danger n'a été atteint. On a toujours pu observer un rétablissement de la croissance des hêtres lors des années favorables, plus humides et moins chaudes. Néanmoins, pour le 21ème siècle, les prévisions climatiques ne sont pas favorables pour le hêtre. Les canicules plus fréquentes et plus intenses lui seront défavorables. Ainsi, les années difficiles vont se multiplier et des déficits en eau extrêmes, jamais atteints dans l'histoire de la hêtraie de Soignes, se manifesteront tôt ou tard. Comme la croissance du hêtre de la forêt de Soignes réopnd à de nouvelles contraintes climatiques, un déséquilibre d'opère progressivement. La question qui se pose est la suivante : les nouvelles contraintes climatiques atteindront-elles des valeurs létales ? L'avenir nous le dira...
Les résultats de ces deux études convergent. Les changements climatiques que l'on a connus jusqu'à présent ont un impact négatif sur le hêtre. Le climat continuera à évoluer et atteindrait les conditions qui règnent actuellement au sud de la Loire (Nantes). Le hêtre est exceptionnel dans cette zone bioclimatique dominée par les chênes. Le hêtre et le chêne pédonculé sont dès lors mal positionnés en forêt de Soignes. Or, ils occupent à eux seuls près de 90% de la surface de la forêt.
Dans ce contexte en évolution rapide, ma volonté est de transmettre aux générations futures une forêt résiliente, capable de traverser ces changements en cours. C'est un des enjeux majeurs du plan de gestion qui est actuellement en préparation. Les peuplements présents doivent être gérés tenant compte de cette menace : donner suffisamment d'espace aux arbres maintenus lors des passages en éclaircie par exemple. Mais les principaux enjeux se concentreront sur la régénération de la vieille hêtraie par le choix des essences qui sera effectué pour les remplacer. L'important est de donner la priorité aux essences qui sont actuellement le plus en adéquation avec le milieu, pour les mettre dans les meilleurs conditions de croissance. Dans ce contexte, en constant changement, le principe de précaution de "ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier" (c'est-à-dire, diversifier la composition spécifique de la forêt) doit être appliqué. Néanmoins, de par la valeur patrimoniale de la Hêtraie cathédrale, tout doit être tenté pour préserver un échantillon représentatif de ce paysage unique.
J'en viens maintenant au rôle que pourrait remplir la forêt de Soignes dans la lutte contre le réchauffement climatique.
D'après les scientifiques, à surface forestière constante, les écosystèmes forestiers, grâce à la photosynthèse qui permet de fixer le CO2 atmosphérique, peuvent participer au stockage du carbone de plusieurs manières :
par l'accroissement des stocks de carbone dans les forêts existantes (augmentation du volume de bois sur pied);
ou par la substitution des combustibles fossiles par une énergie renouvelable tirée de la biomasse.
Ces deux stratégies sont antagonistes.
A défaut d'identification de mesures significatives pour améliorer la séquestration du dioxyde de carbone par la forêt de Soignes, la principale mesure à prendre reste de garantir le maintien de la surface boisée en Région bruxelloise. Le classement de 1959 de la foret de Soignes comme site, les différents statuts de réserves naturelles et forestières ainsi que l'arrêté de désignation de la ZSC1 devraient y contribuer.
Je termine sur les estimations de la capacité de stockage de la forêt de Soignes en dioxyde de carbone. Ce point est actuellement étudié par l'ULg Gembloux Agro-Bio Pôle. Les résultats seront intégrés dans le nouveau plan de gestion de la forêt de Soignes en préparation actuellement.
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